Weng Fen: Fossiles vivants dans la modernité

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2010-11-18

Weng Fen: Fossiles vivants dans la modernité


by Gu Zhenqing


L’expression « fossiles vivants » désigne certaines espèces toujours présentes dans la nature aujourd’hui et ayant peu
évolué au cours du temps. WENG Fen, associe l’idée de « fossiles vivants » à la Chine d’aujourd’hui, à sa modernisation récente et à sa culture contemporaine qu’il analyse avec passion. La révolution industrielle née en Europe, le modèle
occidental, constitue une référence pour les Chinois ou pour les pays en voie de développement. Pour l’artiste, ce système obsolète survit tel un fossile dans le monde d’aujourd’hui.

De l’enseignement qu’il a reçu à l’Académie des Beaux-Arts de Guangzhou, WENG Fen a gardé l’idée que la vie quotidienne, la réalité sociale, est une source inépuisable de créativité, d’inspiration. Depuis la politique de réforme et d’ouverture de la Chine, il observe les changements radicaux de son pays. Il le fait en tenant compte de sa propre expérience, la confrontant à la culture et à la réalité de la Chine d’aujourd’hui, évitant ainsi la simple imitation des modèles occidentaux, il poursuit cette démarche artistique depuis les années 1990.

Le développement économique chinois et les changements radicaux de la société chinoise ont engendré depuis les années 1980 des difficultés sociales et culturelles. A Haikou, ville natale de WENG Fen, comme toutes les autres villes chinoises qui explosent, les sites détruits cohabitent aux cotés d’immeubles champignons, des chantiers d’autres gratte-ciels mais aussi d’immeubles abandonnés faisant figurent de fantômes. Dans la ville, d’apparence majestueuse et embellie, la crise s’insinue silencieusement, en profondeur, générant une angoisse qui affecte l’artiste sensible aux conséquences sur la vie des individus.

En 2001, WENG Fen réalise sa première photographie de la série Sitting On The Wall (Chevauchant le mûr). On y voit une jeune fille chevauchant un mûr et qui regarde les gratte-ciels d’une ville. Le public suit son regard vers cette ville gigantesque. Cette jeune fille, vue de dos, est, pour l’artiste le moyen de créer une interaction avec son public. Elle capte l’attention, comme un piège psychologique tendu aux spectateurs.

Depuis, il a réalisé deux séries de photos intitulées Sitting On The Wall et Bird’s Eye View (Vue d’Oiseau), toujours en rapport avec les villes chinoises. Elles représentent les contradictions entre le développement urbain et le conflit intérieur de chaque citadin. Ses œuvres révèlent particulièrement cette fragilité inconsciente et collective des pays en voie de développement. Elles interrogent sur le sens de l’existence de la société et des individus dans la mondialisation actuelle.

En lien avec ces deux premières séries, celle intitulée Sitting on the wall – Haikou (2001-2010 project) Chevauchant le mûr - Haikou (projet de 2001 à 2010)] forme un ensemble plus dense. Ces photographies de Haikou montrent le passage du temps. La série de 10, contrairement à la photographie seule, exprime de façon intense et profonde l’évolution d’un lieu au fil des années. Elle est devenue la mémoire collective de la ville, d’une époque, mais traduit aussi la relation entre l’artiste et son public. L’aspect esthétique de la première photographie de WENG Fen s’efface par la suite avec les autres photographies prises exactement au même endroit durant neuf années. Au fil des ans, dans le cadrage figé de la photographie, le paysage ou la jeune fille qui pose changent tantôt subtilement tantôt brutalement.

En 2005, pour la première fois, WENG Fen utilise des coquilles d’œuf évidées comme matière pour concevoir des installations. Après des essais avec d’autres matériaux industriels et une longue réflexion sur les possibilités techniques des œufs, il fixe son choix sur ce médium naturel et authentique.

Intitulées Accumulating The Egg Project (Projet des œufs Empilés), les œuvres à base d’oeufs de WENG Fen forment des projets urbains. Avec ce matériau fragile, il capte l’attention du public l’amenant à réfléchir sur la relation entre le monde, le pays et les individus. Avec ses installations, il redonne au public le pouvoir de choisir.

Certaines constructions avec des coquilles d’œuf sont des mélanges et des reconstructions à partir de souvenirs de différentes villes vues par l’artiste. Son œuvre Accumulating The Egg ProjectBeautiful New World (Projet des œufs Empilés Un Beau Monde Nouveau) est une ville en miniature et montre aussi un billet de banque chinois agrandi. L’utilisation d’un matériau fragile, est une métaphore qui exprime parfaitement les dangers et les risques liés à l’incroyable
croissance chinoise actuelle. Depuis le début du siècle, la mondialisation économique et l’amélioration du pouvoir d’achat ont eu pour conséquence la recherche du plaisir matériel et de la consommation de masse. Face à cette véritable explosion urbaine, WENG Fen s’inquiète de l’absence d’une prise de conscience et d’une réaction critique de la société chinoise.

Avec ces installations représentant des villes en miniature, il crée des « fossiles vivants », symboles de l’urbanisation rapide et fragile de la Chine moderne. Mais elles montrent aussi la grande capacité d’apprentissage et d’innovation de la Chine, sur sa capacité à inventer un nouveau modèle de société. 

Depuis 2006, WENG Fen expose régulièrement à l’étranger. Les questionnements qu’il pose dans ses photographies ou ses installations concernent la Chine mais aussi l’Europe, l’Amérique et l’Afrique. « Ideologies », réalisée en 2008, a montré la confrontation inquiétante entre le et le dollar américain, traduction artistique des enjeux politiques, financiers et socioculturels dans une époque marquée par la géopolitique entre la Chine et les Etats-Unis. Peu de temps après sa
réalisation, la crise financière mondiale éclate. Exposée à l’ouverture de l’exposition biennale internationale d’art en Pologne, elle en est l’une des œuvres majeures, suscitant l’intérêt du public européen. Inconsciemment, WENG
Fen a fait figure de prophète.

En 2010, WENG Fen a réalisé The Dream of A Globalist And The Work of A Chinese Artist (Le rêve d’un mondialiste et le travail d’un artiste chinois), œuvre sur mesure conçue pour une galerie en Pologne. Réalisée sur place, il était important pour l’artiste, à la culture si différente de celle des Européens, d’utiliser des coquilles d’œuf produites sur place et de travailler avec des Polonais. C’était pour lui la recherche d’une harmonie entre son travail et le contexte politique et culturel local. L’architecture de l’œuvre forme une croix, inspirée du siège de  l’Union Européenne à Bruxelles. Les œufs sont soutenus par de fines tiges de bois. Pour l’artiste, il existe un lien entre la modernisation, l’idéologie européenne et la mondialisation. En faisant référence à l’expression chinoise « dangereux comme des œufs empilés », les œuvres en coquilles d’œuf de WENG Fen n’imitent pas des architectures, mais exprime la fragilité cachée, invitant le public à réfléchir hors des sentiers battus. Cette œuvre particulière dans un environnement spécifique signifie un futur incertain de la société moderne, un rêve utopiste. Elle pose la question de l’avenir de l’humanité.

Selon un modèle de vie ancien venu d’Europe, la modernisation de la Chine, à laquelle WENG Fen se confronte, est une sorte de « fossile vivant », inévitable et impossible à négliger dans le contexte artistique actuel. Se dépassant sans cesse, les photographies et les installations à base de coquilles d’œuf de Weng Fen  interrogent sur ce modèle.